Les courants-d’air sont toujours à la mode au 2, boulevard de Strasbourg, à Paris, où Anne Hoguet, la dernière éventailliste, perpétue un savoir-faire dans son musée-atelier unique au monde. Le 16 octobre dernier, le musée a soufflé ses 15 bougies. Une visite dans l’air du temps !
« L’éventail est de nouveau dans l’air du temps et je m’en réjouis mais ce serait formidable s’il réinvestissait la vie en général en retrouvant aussi son langage quotidien pour communiquer», raconte Anne Hoguet, la dernière éventailliste à travailler pour la Haute Couture et le monde du spectacle (opéra, théâtre, cinéma). Dans son musée-atelier, au 3ème étage du 2, boulevard de Strasbourg, à Paris, dans le 10ème arrondissement, cette créatrice, fille et petite-fille de tabletiers, est la seule en France à perpétuer le savoir-faire et les traditions d’un art délicat et fragile à la manière d’un artisan. Nommée Maître d’Art, en 1994, par le Ministère de la Culture et de la Communication, ce titre lui confère la possibilité de ventiler l’héritage d’un métier auprès de jeunes stagiaires se destinant aux métiers d’art. En ouvrant, en 1993, un musée de l’éventail, Anne Hoguet a souhaité aussi faire découvrir au grand public ce qui, pour elle, est, avant d’être un accessoire de luxe, un mode de séduction. « Depuis des années, nous accumulions des pièces de collections, je me suis dit que ces merveilles devaient connaître une deuxième vie. » Le 16 octobre dernier, le musée a fêté ses 15 ans et cet anniversaire est vécu comme une victoire pour la sauvegarde d’un patrimoine qui a dû affronter bien des vents contraires. Sur les 1 200 modèles que compte la collection, une centaine allant du XVIIème siècle à nos jours, sont présentés dans ce musée unique au monde puisque le seul à réunir les techniques de fabrication et des modèles rares. Ces éventails, ornés de scènes galantes, de scènes de la mythologie, de l’Histoire ou de la vie quotidienne, sont à l’abri du vent dans une salle de style Henri II et aux murs tapissés de drap bleu brodé de fleurs de lys au fil d’or. Dans la pièce voisine, l’atelier de l’éventailliste prend ses grands airs avec des établis, des outils, des photographies et des documents évoquant la technique de la conception d’une monture d’éventail et de la décoration des feuilles. Ici, on crée, on restaure en travaillant des matières nobles comme le nacre, l’ivoire, l’écaille, le bois précieux, la soie, les plumes, le parchemin et même l’os et des matières considérées plus commodes comme le Plexiglas. Particuliers, collectionneurs, couturiers, costumiers, tous viennent au 2, boulevard de Strasbourg chercher un peu d’air frais ou remettre des airs anciens au goût du jour. 5 000 pièces sont à la vente, toutes précieusement conservées dans d’imposantes armoires à tiroirs non étiquetés. Pour Anne Hoguet, ces tiroirs n’ont pas de secrets, elle en connaît leur contenu sur le bout des doigts. « Il est faux de considérer que l’éventail est un accessoire exclusivement féminin, il est de toutes les fêtes, mariages, bals, carnavals, cérémonies. Les éventails aujourd’hui sont de petites tailles pour les hommes et les enfants y trouvent un intérêt ludique.» Symbole de pouvoir et de séduction, l’éventail ne se porte jamais aussi bien que quand il fonctionne alors pourquoi se priver de faire du vent !
Sophie Pajot
Atelier Hoguet Musée de l’Eventail, 2, boulevard de Strasbourg 75010 Paris. Tel : 01 42 08 90 20. Ouvert les lundis, mardis et mercredis de 14h à 18h. Groupe et conférence sur rendez-vous. Dépôt vente et boutique (cadeaux, librairie, vente d’éventails).
« Parlez-moi d’amour »
Le langage de l’éventail s’apprend (au XIXème siècle en Angleterre, il existait même une école) et le maniement de l’accessoire a des règles très strictes. Les ignorer peut entraîner des conséquences regrettables. « Il faut toujours ouvrir l’éventail vers la droite, explique Anne Hoguet, et non vers la gauche comme beaucoup de gens le font forçant ainsi sur la monture. Un éventail demande un soin tout particulier, il faut le protéger du soleil, de l’humidité, de la poussière et ne pas le laisser trop longtemps ouvert ou fermé. » Loin d’être encore redevenu un mode de communication actuel, un code amoureux pour se parler en toute discrétion a été imaginé par les Espagnols au XVIIème siècle. Voici quelques positions :
- Eventail dans la main droite posé sur le visage : « Suivez-moi »
- Eventail dans la main gauche placé devant le visage : « Je cherche une rencontre »
- Le haut de l’éventail posé sur l’oreille gauche : « Je vous saurai gré de me laisser en paix »
- Le haut de l’éventail posé sur le front : « Vous avez changé »
- Faire rouler l’éventail dans la main gauche : « Nous sommes observés »
- Eventail porté dans la main droite : « Vous en demandez trop »
- Le haut de l’éventail posé dans la main : « Je vous hais »
- Faire rouler l’éventail dans la main droite : « J’en aime un autre »
- L’éventail plié, pointe dans la direction de quelqu’un : « M’aimez-vous ? »
- Le haut de l’éventail posé sur le menton : « Je vous aime »
L’histoire en coups de vent !
L’éventail paraît être originaire d’Orient. Son ancêtre s’appelait « le flabellum », il était formé d’un manche et de plumes de paon ou d’une feuille de lotus. Durant tout le Moyen-Age, les femmes portèrent des éventails de plumes généralement en touffes. Venise et les républiques italiennes fournissaient à cet effet des plumes d’autruche venant d’Afrique. Au XVIème siècle, les éventails étaient ornés de manches revêtus de pierres précieuses et munis de chaînes d’or ou d’argent pour les suspendre à la ceinture. Ce sont les courtisans italiens de Catherine de Médicis qui introduisirent ces accessoires de luxe en France. C’est de cette époque également que date la fabrication des éventails en France. Sous Louis XIII, Anne d’Autriche apportera aux Français le goût des modes espagnoles et l’éventail fera partie intégrante de la toilette des dames. Les maîtres éventaillistes formaient un corps de métiers de Paris. En 1673, un édit de Louis XIV les constitua en jurande et approuva leurs statuts. La fabrication des éventails occupe alors un grand nombre d’ouvriers et met à contribution plusieurs industries comme la tabletterie, la miroiterie, la papeterie, la mégisserie, la broderie, la plumasserie, la peinture, la dorure, etc. C’est à Sainte-Geneviève, dans l’Oise, que s’ouvrirent au XVIIIème siècle les premiers éventaillistes. Il existe trois types d’éventails : l’éventail écran (partie rigide montée sur un manche), l’éventail brisé (inventé par les Chinois et introduit en Europe par les Portugais au XVIème siècle) et l’éventail plié ou plissé (inventé par les Japonais au XVIème siècle).